L'oeuvre littéraire de Howard Phillips Lovecraft semble impossible à adapter sur écran. Du moins est-ce la conclusion que l'on peut tirer des navets que l'industrie cinématographique a commis jusqu'à présent. Il faut dire que les nouvelles et romans du maître de Providence ne sont pas aussi cinématographiques que celles et ceux d'auteurs plus modernes et plus grand public comme Stephen King, par exemple. En lisant les récits de King, on visualise très bien les scènes, la projection mentale que l'on s'en fait pourrait sans doute être comparée d'un individu à l'autre; ce qui n'est pas le cas de ceux de Lovecraft. L'indicible, mot si souvent associé aux oeuvres du créateur du mythe de Cthulhu, y est sans doute pour quelque chose. Prenons pour exemple le plus connu des Grands Anciens, Cthulhu en personne, précisément. Qui peut réellement dire en se basant sur les seules descriptions de l'auteur, qu'il s'agit d'un humanoïde gigantesque, vert, doté d'ailes de chauve-souris et de tentacules à la place des mâchoires ? Bref, adapter les histoires de Lovecraft au cinéma, c'est se risquer à les interpréter, et donc à s'éloigner de l'idée que chacun peut s'en faire.De plus, les personnages de Lovecraft ne sont pas nécessairement des héros de cinéma. Ils ne sont pas férus d'action, ne sont pas romantiques ou sexy, ce sont pour la plupart des intellectuels contemplatifs qui aiment les discours interminables. Bref, un bon film tiré des oeuvres de Lovecraft serait sans doute possible, mais il s'éloignerait trop des standards du cinéma pour être couronné de succès commercial. Du moins est-ce ma façon de voir les choses.Car jusque là, on n'a pas eu grand chose à se mettre sous la dent. 

Mais je ne suis pas là pour refaire l'histoire de Cthulhu au cinéma. Je suis là pour vous parler du Territoire des Ombres, film espagnol de 2009 réalisé par José Luis Aleman. Ce diptyque (Le Secret des Valdemar et Le Monde Interdit). Au premier abord, le film semble prometteur. Le premier volet nous raconte l'histoire d'une famille bourgeoise qui va, au contact d'un certain Crowley, glisser vers l'horreur lors d'une messe noire servant à invoquer un démon. Rien à redire du point de vue de la réalisation ou des effets spéciaux. Le film est esthétiquement irréprochable et l'histoire tient en haleine malgré un manque évident de contenu. On sait que l'on pose les bases d'un second volet, ceci explique cela. Mais après avoir vu le second volet, très différent, plus nerveux, on ne peut que regretter les espoirs fondés. On se trouve aux prises avec une sorte de patchwork des oeuvres de Lovecraft à la sauce espagnole : une maison hantée, un Cthulhu décérébré réduit au rang de démon gardien, une sorte de goule ridicule, un débile profond, une sombre histoire de fraude notariale, une gitane, des personnages creux et sans intérêt, une fausse romance post-mortem, etc. Bref, on est encore loin du premier chef d'oeuvre cinématographique basé sur les écrits de HPL. Pourtant, on n'est pas passé loin, cette fois. Avec un peu moins d'éléments de séries Z et un meilleur équilibre entre ses deux volets, ce diptyque aurait pu faire honneur au mythe de Cthulhu.

Force est de constater que c'est raté. La vision n'en est franchement pas indispensable. Difficile d'en retirer ne serait-ce que l'esquisse d'un scénario pour le jeu de rôle tant l'histoire est cousue de fil blanc et creuse. Bref, curieux, faites-vous plaisir. Puristes, passez votre chemin.